Archive for octobre, 2015
Signé : la marque
Il y a quelques jours, je me suis rendu à Madrid pour participer à un meeting sur le thème du brand content, où un débat a tenté de déterminer si une marque doit briller sous le feu des projecteurs ou au contraire rester dans l’ombre, quand il s’agit de contenu de marque. La question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Si le slogan de la marque s’expose à tout moment à l’écran, ce choix peut bien sûr nuire à la manière dont le contenu est perçu, et faire basculer ce dernier dans la simple publicité. A l’inverse, cependant, si la marque ne se met pas suffisamment en avant, les efforts accomplis pour proposer un contenu à valeur ajoutée risquent fort de n’apporter aucun avantage à la marque ! En outre, deux facteurs poussent à ce que la mise en avant de la marque prime. D’une part, lorsqu’une marque dépense un budget important pour procurer un contenu de qualité, elle veut le montrer à tout-va pour en tirer les bienfaits. D’autre part, il faut faire en sorte que le public authentifie sans tarder qui est à l’origine du contenu. Les individus ressentent en effet de la défiance envers les contenus lorsqu’ils ignorent qui est derrière, comme en attestent toutes les études réalisées sur des panels. Si le locuteur anonyme se révèle en définitive être une marque, la sensation de s’être fait abuser peut contribuer à discréditer l’ensemble du contenu. La réponse courante apportée à cette problématique est une manière de botter en touche, puisque cela consiste à prôner une juste mesure faite de bon sens : la marque ne doit être ni trop représentée, ni trop peu. Mais pendant ce meeting à Madrid, un des participants a finalement présenté une réponse qui me paraît plus intelligente. En fait, le niveau de représentation de la marque est lié au type de contenu. Par exemple, dans le monde du sport, on juge que les marques contribuent à l’atmosphère générale, et ces dernières peuvent par conséquent briguer une forte visibilité. Pour les contenus musicaux qui jouent plus sur la fibre émotionnelle, la marque passe davantage par le mimétisme sensoriel pour arriver à ses fins. Tandis que pour les documentaires au contraire, la marque se doit de rester discrète en toutes circonstances. L’important n’est en définitive pas de déterminer si la marque est trop présente ou pas assez ; ce qui importe, c’est de savoir si le niveau de visibilité est adapté à la nature du contenu. Pour en savoir plus, je vous recommande au site de l’organisateur de ce séminaire en Espagne. Cliquez sur le lien pour les contacts.
Balkany et sa médiathèque
Ce mardi, à 19 heures, l’une des trois médiathèques de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), située 57 rue Gabriel-Péri, sera définitivement fermée. Raison invoquée par la municipalité, dans les colonnes du Parisien : le coût d’aménagement et de mise aux normes, trop élevé. L’heure est aux économies. Hasard malheureux : l’annonce de la fermeture coïncide avec la publication mi-juin d’un rapport de la chambre régionale des comptes qui épingle la gestion du Levallois Sporting Club, un grand club omnisports essentiellement financé par la ville. Les magistrats s’interrogent notamment sur le très généreux salaire accordé au judoka Teddy Riner pour la promotion du club : en 2013, celui-ci a touché la bagatelle de 429 293 euros brut. « Au doigt mouillé, je pense que le coût de fonctionnement de la bibliothèque est équivalent au salaire de Teddy Riner », jauge Arnaud de Courson, conseiller municipal d’opposition (DVD) et conseiller départemental. L’annonce de la fermeture de la médiathèque Gabriel-Péri s’est faite dans la plus extrême discrétion : cinq mots sur le papier glacé de la gazette municipale, Info Levallois, au milieu d’une double page consacrée aux dates de fermeture et aux horaires d’été de plusieurs services municipaux. Une petite explication a bien été publiée le 10 juin sur la page Facebook des médiathèques de Levallois. Mais sur la façade vitrée du bâtiment, fermé le lundi, pas une pancarte ne donne l’information. Si bien que des usagers de passage font les yeux ronds quand on leur apprend la nouvelle. « Donc elle va fermer ? » Alain, qui utilise régulièrement le point internet, pose une seconde fois la question. Danièle lui montre avec le pouce et l’index la place consacrée à l’annonce dans le bulletin municipal. Pour en connaître les raisons, la Levalloisienne est elle-même allée à la pêche aux infos, auprès des bibliothécaires : Alain, qui a toujours connu cette bibliothèque, la plus ancienne de Levallois, se désole de la disparition d’un point culturel au centre-ville. « A chaque fois que je viens, il y a toujours du monde. » Pendant la discussion débarque sur le trottoir une dame blonde « du Front de Gauche », dont les yeux sont soulignés d’un trait d’eye-liner façon pin-up. « C’est une honte, un scandale ! » s’égosille-t-elle sur le trottoir avant de glisser dans la fente du dépose livres une enveloppe blanche contenant quinze signatures contre la fermeture. La Levalloisienne les a recueillies dans son immeuble. Ce mardi, 1 930 internautes ont soutenu la pétition en ligne (essentiellement des militants communistes, croit savoir l’adjoint à la Culture) ; 1 800 habitants ont signé celle en papier, qui a circulé dans les rues de Levallois. Après la fermeture, les titulaires qui y travaillaient seront transférés dans les deux autres établissements mais trois contractuels ne seront pas renouvelés. Deux samedis de suite, le 20 et le 27 juin, des employés des médiathèques ont fait grève en signe de protestation contre la décision de fermeture. « Péri n’est pas périmé », pouvait-on lire sur la façade, d’après Le Parisien. Des habitants et quelques élus se sont joints aux grévistes. « Deux jours de grève à la bibliothèque, c’est inédit : jamais ce n’était arrivé à Levallois », souligne Frédéric Léger, un habitant à l’origine de la pétition, bibliothécaire de métier. La petite mobilisation n’a pourtant pas fait ciller la mairie. Sur deux étages, la médiathèque Gabriel-Péri, rénovée en 1991, propose un espace de lecture, de travail, une collection de CD, d’ouvrages audio ou encore des livres en gros caractères. Elle est située au centre de Levallois, à quelques pas seulement de l’hôtel de ville. Aux alentours, plusieurs immeubles de logements sociaux, une école, un petit parc et, juste derrière, des cours de tennis. Beaucoup de personnes âgées résident dans le quartier et fréquentent la médiathèque. « Les gens viennent lire les quotidiens, les magazines à 5 euros qu’ils n’achètent pas », détaille Anne-Eugénie Faure, conseillère municipale socialiste. « C’est une bibliothèque de proximité où il y a une vie sociale. » « Un des rares endroits où il y a un lien intergénérationnel, qui est intéressant », abonde Arnaud de Courson, élu DVD. « Elle dessert à la fois un public de personnes âgées et plus populaire », complète Frédéric Léger.
Le parrain Pasqua
L’ancien ministre a mené sa carrière politique tel un éléphant dans un magasin qui se voulait de porcelaines et qui, en le saluant une dernière fois, tourne en fait une page historiquement encombrante. C’est peut-être France info qui a eu involontairement la juste appréciation en présentant Charles Pasqua comme «une figure de la scène politique de l’après-guerre». Il doit y avoir de ça, car les brassées d’hommages venues de son camp, à la suite du décès, le 29 juin, de l’ancien ministre de l’Intérieur, le renvoient à un temps reculé, dessinant une silhouette anachronique dans l’histoire de la droite moderne. Une sorte de gaulliste attardé, nostalgique de la Résistance, autodidacte et populiste, dans une épopée conservatrice qui a fait plutôt la part belle aux héritiers et aux diplômés de Sciences-Po. Sous l’éloge funèbre, lundi 29 au soir, qui présente généralement les défunts en habit de gala, Charles Pasqua est resté ce qu’il a été, selon l’opinion commune: un éléphant dans un magasin qui se voudrait de porcelaines et qui, en le saluant une dernière fois, tourne en fait une page historiquement encombrante; à saisir l’embarras persistant, un provincial avec accent qui n’avait jamais réussi tout à fait à s’embourgeoiser, malgré une carrière tout à fait contemporaine de président du conseil général des Hauts-de-Seine, où sont Neuilly et Levallois-Perret; un «Marseillais», même, se souvenait-on, qui avait d’abord vendu du pastis sur la Canebière, alors qu’il était plutôt un «Niçois», d’origine corse et installé à Grasse (Alpes-Maritimes) et que son premier parcours professionnel l’avait tout de même mené au rang de numéro 2 du groupe Picard. Un trait le résumait, aux yeux de ses détracteurs de gauche comme de droite, et finalement, comme de ses amis, et qu’ont repris les ultimes commentaires: un homme de réseaux. Soupçon générique. On ne savait jamais très bien quels réseaux visait vraiment la critique, ceux de «Françafrique» ou du SAC (Service d’action civique), le service d’ordre gaulliste, ou encore des aigrefins qui allaient, dans son entourage, lui valoir quelques ennuis avec la justice, à la fin de son parcours politique. La mort n’a pas, ou pas encore, rectifié les malentendus de sa vie. Lui-même y fut pour beaucoup, qui laissa dire. Amplifiant, souvent, se carrant sur une réputation qui sentait le souffre. Il aida Jacques Chirac à devenir un président de la Ve République mais pour la mauvaise part, les coups bas aux rivaux et les battages de meeting. Doué pour l’autorité régalienne, il incarna, ces dernières décennies, le profil du ministre de l’Intérieur, terrorisant «les terroristes» et repoussant les manifestations de rue juvéniles. Surtout, il assuma ce portait de lui. Mais, à la vérité, il s’ennuya plutôt, par deux fois, à partir de 1986, puis de 1993, place Beauvau. Son goût, réel, pour l’ombre, les dossiers secrets et les fidélités d’officines, masquait une ambition personnelle, qui ne parvint jamais à s’épanouir. Il avait en partie «fait» Jacques Chirac, mais Chirac le marginalisa ensuite, au début des années 1990, jusqu’à la brouille. Charles Pasqua «le gaulliste de tripes», disait encore, lundi soir, Roger Karoutchi, sénateur des Hauts de Seine, devenait un personnage anti-européen, trop droitier pour la Chiraquie moderne, trop facilement confondu avec le Front national. Il se lança seul, en effet, sur le créneau souverainiste, fonda son mouvement «Demain la France». En fait, il erra, aux marges de la droite, laquelle, cependant, ne le punit jamais tout à fait, lui laissant ses mandats de sénateur et une influence dans les Hauts-de-Seine. On ne pouvait pas se fâcher complétement avec Charles Pasqua. Ses «dossiers», toujours. Sa connaissance des prétendus «secrets» de la Ve République. L’abandonner à la curiosité des juges d’instruction, qui commençaient à vouloir l’inculper de «trafic d’influence» ou de «corruption passive», dans les années 2000, représentait toujours un risque de contamination. L’époque politique, qui, au fond, passe aussi vite que celle des modes, le laissa simplement sur place. À ses archaïsmes, à ses fantômes gaulliens. Charles Pasqua ou l’histoire d’un homme plutôt déçu. D’un compagnon sans illusion. Curieusement, il eut toujours le même air triste et renfrogné que Philippe Séguin, son pendant, versant social, des déceptions chiraquiennes. L’un et l’autre comme là à contrecœur. Sa truculence de méridional, son indifférence bonhomme à la réputation de dur qui lui avait été faite, et qu’on vante de manière posthume, cachaient sans doute un sentimentalisme d’écorché, qui ne se nourrit, à ses propres yeux, que d’assez peu de gloire. À Marseille, où il fut effectivement le champion précoce des ventes de pastis, il détesta la droite de la ville, alliée avec Gaston Defferre. Il eut la même appréciation, manifestement, pour la droite parisienne et nationale. Infidèles l’une et l’autre aux serments de la Libération. Les temps heureux, pour lui, remontaient aux nuits des collages d’affiches du RPF, dans les années 1950, qu’il organisait avec «les ricardiens», dans l’espérance d’un retour rapide du général de Gaulle. Cela remontait à loin et n’adoucissait le présent que pendant ses récits de fins de banquet. Puis il paya cher le fait d’être «monté» à la capitale, en 1968, à la tête de petits voyous du SAC et de s’être mêlé de l’organisation de la manifestation de soutien à de Gaulle, le 30 mai, avec les barons du gaullisme encore orthodoxe, André Malraux et Michel Debré. Avant même les embrouilles dont on lui fit grief pour sacrer Chirac au RPR, il détonna par cette manière sudiste et ne s’en remit jamais totalement. Même monté en grade, même anobli plus tard par son service au ministère de l’Intérieur, il demeura «un parrain», un gaulliste surané et frontal, autant dire assez mal embouché, et ce, d’abord pour ceux qui ne furent jamais tout à fait les siens. En le saluant, avant la mise en terre, les héritiers du gaullisme historique, sarkozystes ou juppéistes, accomplissent aussi un rituel de grand soulagement.