Archive for septembre, 2016
Voyage en philosophie américaine
Nous voulons réfléchir sur la place d’une approche d’éthique appliquée dans l’enseignement de la philosophie éthique au collégial et sur ses résultats, disions-nous en introduction. Mais nous désirons le faire d’abord dans un contexte plus large : celui des finalités de l’éducation8. C’est-à-dire qu’il nous semble nécessaire de replacer toute entreprise d’enseignement ou toute réflexion sur l’enseignement dans une perspective philosophique fondatrice : que veut-on faire ou que fait-on vraiment quand on éduque? En somme, qu’est-ce qu’éduquer? Ensuite seulement, nous pourrons nous interroger sur la contribution de chacun des acteurs, sur les méthodes les plus susceptibles d’atteindre ces buts, sur la contribution particulière d’un cours de philosophie éthique ou d’une approche d’éthique appliquée. La discussion s’enracine ainsi dans une réflexion sur les buts de l’éducation. Et l’on découvre rapidement que dans la tradition française, peu importe les auteurs consultés, l’accord paraît unanime quant à l’énoncé suivant: ce que vise avant tout l’éducation, c’est de former ou, plutôt, de contribuer à la formation d’un être humain; non pas d’abord former un travailleur ou un citoyen, mais l’être humain lui-même, pour lui-même. La tâche principale de l’éducation «[…] est avant tout d’aider au développement dynamique par lequel l’homme se forme lui-même à être un homme […]», disait déjà Jacques Maritain. Olivier Reboul ne pense pas autrement quand il affirme que «l’éducation, dans tous les domaines, depuis la naissance jusqu’au dernier jour, c’est d’apprendre à être homme». Il en va de même pour Louis Brunet et Lucien Morin qui confirment que «voilà pourquoi le dictionnaire voit juste en définissant l’éducation comme l’activité de former quelqu’un, qui n’est qu’une autre manière de dire que la fin de l’éducation, c’est le développement et la formation d’un être humain». Selon eux, toute la pédagogie moderne est sans compromis là-dessus: «[…] l’éducation est une activité qui a pour fin d’aider quelqu’un à se développer et à se former». Le but fondamental et les buts secondaires de l’éducation Au moment où il est beaucoup question de formation à la citoyenneté et où même l’enseignement de l’éthique doit s’inscrire dans une optique de formation «propre au programme» d’études de l’élève, il vaut la peine de rappeler les distinctions faites par Maritain et Reboul qui nous aident à éclairer cette problématique. Pour le premier, l’éducation comporte des buts essentiels de deux ordres différents: le fondamental, celui qui demeure et ne change pas, et les secondaires, ceux qui varient et doivent être adaptés aux époques historiques. Aider quelqu’un à atteindre sa pleine formation d’homme constitue le seul but du premier genre, alors que «[…] transmettre l’héritage d’une culture d’une aire de civilisation donnée, préparer à la vie sociale et à un comportement de bon citoyen, procurer l’équipement mental exigé pour remplir une fonction particulière dans le tout social, pour s’acquitter des responsabilités familiales, pour gagner sa vie» appartiennent au second genre. Selon cet auteur, «l’essence de l’éducation ne consiste pas en effet à adapter un futur citoyen aux conditions et interactions de la vie sociale, mais d’abord à faire un homme, — et préparer par cela même un citoyen». Quant à Reboul, ne nous tientil pas un langage semblable lorsque placé devant le dilemme d’une éducation «pour la société ou pour l’enfant», il affirme qu’ il s’agit peut-être d’une fausse alternative, dont chaque terme ne vaut que par les défauts de l’autre. Car, entre l’individu et la (c’est-à-dire une) société, il existe un troisième terme, qui est l’humanité. Et l’éducation elle-même en témoigne. On n’éduque pas l’enfant pour qu’il le reste. Mais pas non plus pour en faire «un travailleur et un citoyen». On l’éduque pour en faire un homme, c’est-à-dire un être capable de communiquer et de communier avec les oeuvres et les personnes humaines […] Ainsi, il nous semble que la fin de l’éducation est de permettre à chacun d’accomplir sa nature au sein d’une culture qui soit vraiment humaine. Si cette fin paraît utopique, elle est la seule qui préserve l’éducation du laisser-faire comme de l’endoctrinement. À son avis, cette visée pèse si lourd qu’elle donne lieu au principal critère d’une éducation réussie: «[…] elle est réussie si elle est inachevée, si elle donne au sujet les moyens et le désir de la poursuivre, d’en faire une auto-éducation. Car on arrive peut-être un jour à être ingénieur, ou médecin, ou bon citoyen. On n’en finit jamais de devenir un homme». Source: voyage incentive USA