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Les conditions d’accès au marché de la grande vitesse
La spécificité du modèle économique de la grande vitesse ferroviaire est susceptible d’engendrer des barrières à l’entrée pour les nouveaux opérateurs. Dans le cadre d’un marché en open access, les opérateurs devront acquérir des matériels roulants, très coûteux pour les liaisons à très grande vitesse76. Un nouvel entrant souhaitant proposer une offre « généraliste » (et pas seulement de niche) devra acquérir un grand nombre de rames pour offrir une fréquence de desserte suffisante. Il devra également construire un atelier spécifique. Ces investissements en matériels roulants sont largement irrécouvrables, en raison de l’absence de marché secondaire. L’interopérabilité, qui permet d’utiliser un même matériel sur différents réseaux, est limitée, ou se traduit par un surcoût important (5 à 10 millions d’euros par rame). Une assise financière importante semble donc indispensable pour entrer sur le marché de la grande vitesse, mais il n’en reste pas moins que les investissements en matériels roulants sont extrêmement risqués, et que la rentabilité des marchés ferroviaires en situation de concurrence ne sera peut-être pas suffisante pour inciter les opérateurs à investir. Dans son principe, la création de sociétés publiques ou privées de location de rames (ROSCO : Rolling Stock Companies) permet de transférer le risque financier à un tiers qui le mutualise, puisque si un opérateur se retire du marché, le matériel peut alors être loué à un autre opérateur. De telles sociétés existent pour les matériels fret en France, et pour les matériels voyageurs en Grande-Bretagne. Cette solution ne semble toutefois pas adaptée au marché du transport de voyageurs en open access. La ROSCO porterait en effet des risques très importants, et in fine ne serait pas beaucoup plus incitée à investir qu’un transporteur. Les nouveaux opérateurs seront également confrontés à l’incertitude sur les capacités, qui sont allouées annuellement par le gestionnaire d’infrastructure, et sur la tarification, qui est susceptible d’évoluer elle aussi annuellement, compte tenu des règles en vigueur. L’incertitude sur les capacités est double : elle porte à la fois sur la gestion des conflits d’attribution de sillons à court terme et sur la disponibilité des sillons à long terme. Aujourd’hui certaines lignes à grande vitesse et surtout certaines gares sont proches de la saturation en période de pointe ; un nouvel opérateur n’a pas l’assurance de disposer des capacités souhaitées pour développer une offre cohérente. De ce point de vue il apparaît nécessaire : – De préciser la notion de saturation en droit français (l’infrastructure doit être déclarée saturée si le sillon proposé s’écarte de x minutes de la demande initiale) ; – De mettre en place un dispositif de gestion de la saturation transparent et efficace (comme l’exige la directive 2012/34), combinant un signal prix en amont (tarification de la congestion, lorsque les circulations se rapprochent du maximum de capacité) et des modalités de traitement de demandes de sillons concurrentes (concertation et, en l’absence d’accord, sur-tarification ou processus d’enchères) ; – De donner une visibilité de long terme aux entreprises ferroviaires sur les capacités disponibles, en prenant en compte les accords-cadres, les tendances d’évolution des trafics, et les investissements projetés. Par ailleurs, dès lors que les matériels roulants s’amortissent sur 30 ans, les opérateurs ont besoin d’obtenir des garanties sur la disponibilité des sillons sur une période longue. Le dispositif des accords-cadres, prévu par les textes européens, répond à ce problème. Un accord-cadre lie le gestionnaire d’infrastructure et l’entreprise ferroviaire, sous le contrôle du régulateur. Il permet de préciser les caractéristiques des capacités de l’infrastructure ferroviaire offertes au transporteur, pour une durée maximum de 15 ans, dans le cas d’infrastructures « spécialisées » comme les lignes à grande vitesse. De tels accords-cadres permettraient de réduire significativement le risque pour les entreprises ferroviaires.