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Le parrain Pasqua

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L’ancien ministre a mené sa carrière politique tel un éléphant dans un magasin qui se voulait de porcelaines et qui, en le saluant une dernière fois, tourne en fait une page historiquement encombrante. C’est peut-être France info qui a eu involontairement la juste appréciation en présentant Charles Pasqua comme «une figure de la scène politique de l’après-guerre». Il doit y avoir de ça, car les brassées d’hommages venues de son camp, à la suite du décès, le 29 juin, de l’ancien ministre de l’Intérieur, le renvoient à un temps reculé, dessinant une silhouette anachronique dans l’histoire de la droite moderne. Une sorte de gaulliste attardé, nostalgique de la Résistance, autodidacte et populiste, dans une épopée conservatrice qui a fait plutôt la part belle aux héritiers et aux diplômés de Sciences-Po. Sous l’éloge funèbre, lundi 29 au soir, qui présente généralement les défunts en habit de gala, Charles Pasqua est resté ce qu’il a été, selon l’opinion commune: un éléphant dans un magasin qui se voudrait de porcelaines et qui, en le saluant une dernière fois, tourne en fait une page historiquement encombrante; à saisir l’embarras persistant, un provincial avec accent qui n’avait jamais réussi tout à fait à s’embourgeoiser, malgré une carrière tout à fait contemporaine de président du conseil général des Hauts-de-Seine, où sont Neuilly et Levallois-Perret; un «Marseillais», même, se souvenait-on, qui avait d’abord vendu du pastis sur la Canebière, alors qu’il était plutôt un «Niçois», d’origine corse et installé à Grasse (Alpes-Maritimes) et que son premier parcours professionnel l’avait tout de même mené au rang de numéro 2 du groupe Picard. Un trait le résumait, aux yeux de ses détracteurs de gauche comme de droite, et finalement, comme de ses amis, et qu’ont repris les ultimes commentaires: un homme de réseaux. Soupçon générique. On ne savait jamais très bien quels réseaux visait vraiment la critique, ceux de «Françafrique» ou du SAC (Service d’action civique), le service d’ordre gaulliste, ou encore des aigrefins qui allaient, dans son entourage, lui valoir quelques ennuis avec la justice, à la fin de son parcours politique. La mort n’a pas, ou pas encore, rectifié les malentendus de sa vie. Lui-même y fut pour beaucoup, qui laissa dire. Amplifiant, souvent, se carrant sur une réputation qui sentait le souffre. Il aida Jacques Chirac à devenir un président de la Ve République mais pour la mauvaise part, les coups bas aux rivaux et les battages de meeting. Doué pour l’autorité régalienne, il incarna, ces dernières décennies, le profil du ministre de l’Intérieur, terrorisant «les terroristes» et repoussant les manifestations de rue juvéniles. Surtout, il assuma ce portait de lui. Mais, à la vérité, il s’ennuya plutôt, par deux fois, à partir de 1986, puis de 1993, place Beauvau. Son goût, réel, pour l’ombre, les dossiers secrets et les fidélités d’officines, masquait une ambition personnelle, qui ne parvint jamais à s’épanouir. Il avait en partie «fait» Jacques Chirac, mais Chirac le marginalisa ensuite, au début des années 1990, jusqu’à la brouille. Charles Pasqua «le gaulliste de tripes», disait encore, lundi soir, Roger Karoutchi, sénateur des Hauts de Seine, devenait un personnage anti-européen, trop droitier pour la Chiraquie moderne, trop facilement confondu avec le Front national. Il se lança seul, en effet, sur le créneau souverainiste, fonda son mouvement «Demain la France». En fait, il erra, aux marges de la droite, laquelle, cependant, ne le punit jamais tout à fait, lui laissant ses mandats de sénateur et une influence dans les Hauts-de-Seine. On ne pouvait pas se fâcher complétement avec Charles Pasqua. Ses «dossiers», toujours. Sa connaissance des prétendus «secrets» de la Ve République. L’abandonner à la curiosité des juges d’instruction, qui commençaient à vouloir l’inculper de «trafic d’influence» ou de «corruption passive», dans les années 2000, représentait toujours un risque de contamination. L’époque politique, qui, au fond, passe aussi vite que celle des modes, le laissa simplement sur place. À ses archaïsmes, à ses fantômes gaulliens. Charles Pasqua ou l’histoire d’un homme plutôt déçu. D’un compagnon sans illusion. Curieusement, il eut toujours le même air triste et renfrogné que Philippe Séguin, son pendant, versant social, des déceptions chiraquiennes. L’un et l’autre comme là à contrecœur. Sa truculence de méridional, son indifférence bonhomme à la réputation de dur qui lui avait été faite, et qu’on vante de manière posthume, cachaient sans doute un sentimentalisme d’écorché, qui ne se nourrit, à ses propres yeux, que d’assez peu de gloire. À Marseille, où il fut effectivement le champion précoce des ventes de pastis, il détesta la droite de la ville, alliée avec Gaston Defferre. Il eut la même appréciation, manifestement, pour la droite parisienne et nationale. Infidèles l’une et l’autre aux serments de la Libération. Les temps heureux, pour lui, remontaient aux nuits des collages d’affiches du RPF, dans les années 1950, qu’il organisait avec «les ricardiens», dans l’espérance d’un retour rapide du général de Gaulle. Cela remontait à loin et n’adoucissait le présent que pendant ses récits de fins de banquet. Puis il paya cher le fait d’être «monté» à la capitale, en 1968, à la tête de petits voyous du SAC et de s’être mêlé de l’organisation de la manifestation de soutien à de Gaulle, le 30 mai, avec les barons du gaullisme encore orthodoxe, André Malraux et Michel Debré. Avant même les embrouilles dont on lui fit grief pour sacrer Chirac au RPR, il détonna par cette manière sudiste et ne s’en remit jamais totalement. Même monté en grade, même anobli plus tard par son service au ministère de l’Intérieur, il demeura «un parrain», un gaulliste surané et frontal, autant dire assez mal embouché, et ce, d’abord pour ceux qui ne furent jamais tout à fait les siens. En le saluant, avant la mise en terre, les héritiers du gaullisme historique, sarkozystes ou juppéistes, accomplissent aussi un rituel de grand soulagement.

Written by admin

octobre 19th, 2015 at 4:46

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