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Cela sent le brûlé en Ukraine

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On a été obsédé par les événements en Ukraine. Et on n’a pas forcément eu tort: ce qui s’est passé dans ce pays risque de définir la pensée stratégique russe et les relations russo-européennes pour les années à venir. Pourtant, ce n’est pas le seul territoire post-soviétique digne de notre inquiétude. De fait, ces derniers mois, on constate des évolutions inquiétantes du côté du Caucase. À première vue, de telles activités peuvent paraître tout à fait normales, une façon pour Moscou d’affirmer son contrôle de territoires rebelles. Or les exercices n’ont pas eu lieu en Kabardino-Balkarie, en Tchétchénie, ou au Daghestan, les principaux foyers des tendances séparatistes dans la région. Par ailleurs, certains des exercices ont impliqué des avions d’attaque Sukhoï Su-25SM, des avions de chasse MiG-29, des systèmes de défense aérienne… pas forcément l’armement le plus utile contre les combattants de l' »Emirat Islamique du Caucase ». Or à une époque de difficultés économiques pour la Russie, on imagine mal des actions d’une telle envergure sans signification réelle autre qu’une question d’entraînement. Encore moins dans le district militaire sud de la Fédération (Caucase du Nord, Caspienne, Mer Noire). On comprend mieux quand on voit que beaucoup de ces exercices se sont concentrés en Ossétie du Nord… et en Ossétie du Sud, ancien territoire géorgien perdu par Tbilissi lors de la guerre de 2008. Il n’est pas anodin que ces exercices aient eu lieu notamment dans la deuxième quinzaine du mois de mars: à la même période, Vladimir Poutine et le leader d’Ossétie du Sud, Leonid Tibilov, signaient une série d’accords renforçant de fait l’annexion de son territoire par la Fédération de Russie. Mais il s’agit, semble-t-il, d’aller au-delà que de maintenir la pression, d’un point de vue général, sur la Géorgie. Il est intéressant de noter que lors d’un des exercices de grande envergure, d’importantes forces russes positionnées, d’habitude, en Arménie ont été directement impliquées en liaison avec des unités basées en Russie. Or, ces derniers temps, les médias russes aiment à évoquer deux choses sur cette zone: le désir de Moscou de développer le réseau de routes partant du Caucase du Nord vers la Géorgie; et les pressions du Kremlin sur ce même pays, pour obtenir le droit, pour certaines de ses forces armées, de traverser la Géorgie pour pouvoir atteindre les bases russes en Arménie. En effet, avec Erevan qui a rejoint l’Union Eurasiatique, il s’agit de montrer aux Arméniens que ce choix renforce la protection militaire offerte par la Russie. Donc pour un certain nombre d’analystes, le message est double: soutien à l’Arménie, et menace à peine voilée sur la Géorgie. Et ce soutien au moins indirect, de la Russie à l’Arménie, ne va pas aider à apaiser des relations de plus en plus tendues entre ce dernier pays et Azerbaïdjan Le 16 mai 1994, un cessez-le-feu a été signé après une guerre terrible entre Arméniens et Azéris: Bakou perdait le contrôle de la région du Haut Karabagh, mais aussi des territoires environnants. En gros, un cinquième du territoire azéri perdu, et pour l’Arménie, une augmentation de fait tiers. Avec, des deux côtés, des cicatrices qui ne se sont pas refermés. Cela fait déjà plusieurs années, on peut constater que le conflit ne peut être considéré comme « gelé » que dans les ouvrages de spécialistes théoriques de la géopolitique. Il y a des accrochages constants entre militaires azéris et arméniens depuis plusieurs années. Or ces dernières temps, les tensions se multiplient: il y a eu des accrochages militaires quasiment tous les jours depuis l’été 2014. Et ces derniers sont de plus en plus mortels. En novembre 2014, deux hélicoptères de combat Mi-24 auraient attaqué des troupes azéries, et ces dernières ont réussi à abattre l’un d’eux. Selon les Arméniens ces hélicoptères étaient à l’intérieur du Haut-Karabagh, où ils participaient à des exercices militaires entre l’armée de la « République du Haut Karabagh » (non reconnue par la communauté internationale, à quelques exceptions près) et l’Arménie. Une provocation en soi pour Bakou, même si l’accrochage n’a pas eu lieu: avec 47.000 soldats déployés, il s’agissait pour les Arméniens de montrer leur force aux Azéris… ce qui n’a fait que renforcer les tensions, et empêcher toute possibilité de dialogue (qui commençait, timidement, à renaître). Tensions confirmées début 2015: l’armée arménienne du Haut-Karabagh est même allée, le 31 janvier, jusqu’à organiser une incursion militaire contre des positions azéries, faisant un nombre de morts indéterminés des deux côtés (chacun donnant des chiffres différents de l’adversaire). Pendant 20 ans, les soldats azéris et arméniens ne faisaient qu’échanger des coups de feu régulièrement. Aujourd’hui, la situation est autrement plus dangereuse… Face à une telle situation, pour l’instant, la Russie agit comme une grande puissance indispensable certes, mais pas forcément d’une façon positive. On l’a vu, elle assure clairement l’Arménie de sa protection militaire. Par ailleurs, il est possible que Moscou ait fourni aux Arméniens des missiles balistiques de courte portée 9K720 Islander. Ils seraient suffisants pour clouer au sol une aviation azérie très modernisée, et aujourd’hui supérieure à celle des Arméniens. Ce déséquilibre amène Bakou à craindre un certain isolement (l’Iran est également plutôt pro-Arménie) et à chercher à amadouer le Kremlin tout en se renforçant militairement. Ainsi, en 2011 et 2012, les Azéris ont signé de juteux contrats d’armement avec les Russes, d’une valeur de 700 millions à 1 milliard de dollars. En fait, sur ces cinq dernières années, 85% des achats d’armes par l’Azerbaïdjan ont été fait à la Russie… Et plus largement, Bakou cherche, légitimement, à aller au-delà des simples transitions commerciales, pour s’assurer que la Russie n’ira pas jusqu’à s’affirmer totalement pro-Arménie en politique étrangère et de sécurité. D’où le plan de coopération signé entre leurs ministères de la Défense respectifs le 13 octobre 2014. Un tel activisme azéri amène les Arméniens, à leur tour, à craindre pour leur alliance avec la Russie, ce qui les pousse à une soumission totale face au Kremlin. Cela explique leur entrée dans l’Union Économique Eurasiatique, une orientation pourtant peu rationnelle économiquement. Dans cette configuration, le Kremlin semble tenir, aujourd’hui, l’ensemble du Caucase du Sud. Et il ne serait ni productif, ni efficace, de réagir face à cet état de fait par une diplomatie moralisante du côté de l’Europe et de l’Amérique du Nord. On est dans un jeu classique de grande puissance, s’imposant à son environnement régional, et ce dernier acceptant cette influence ou la rejetant en cherchant une aide extérieure. La Géorgie a voulu totalement nié l’influence de cette grande puissance voisine, comme Kiev aujourd’hui: on voit le résultat. Et les Occidentaux sont coupables d’avoir soutenu cette attitude, jusqu’à ce que la confrontation grande puissance/État normal tourne à la situation classique du pot de terre face au peau de fer… Face à la politique russe dans le Caucase à présent, donc, il serait bon que nos diplomates se concentrent sur une question positive, et importante: le fait qu’une montée des tensions entre Azerbaïdjan et Arménie ne serait bonne ni pour l’Europe, ni pour la Russie, ni pour les Américains. Si les grandes puissances étaient capables de mettre de côté leurs jeux géopolitiques pour être responsables face un conflit potentiellement déstabilisateur pour toute une région, elles se montreraient responsables, pour une fois…

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juin 26th, 2015 at 4:22

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