Mort du père des Talibans
Hamid Gul, ex-chef du renseignement à Islamabad, était un maître du double jeu entre les Etats-Unis et les islamistes. Le hasard, ou l’ironie de l’histoire, a voulu qu’Hamid Gul, 79 ans, ex-chef du renseignement pakistanais, décède d’une hémorragie cérébrale ce week-end à Muree, une ville proche d’Islamabad où s’est tenue début juillet une rencontre entre talibans et représentants du gouvernement afghan. Nul doute qu’Hamid Gul connaissait les émissaires talibans. Il avait contribué à la naissance de leur mouvement au milieu des années 90 et y conservait des relais au plus haut niveau. Ses contacts remontaient en réalité aux années 80. A l’époque, les moudjahidine luttent contre l’Armée rouge qui a envahi l’Afghanistan. Hamid Gul, chef de l’Inter-Services Intelligence (ISI) de 1987 à 1989, participe à leur formation, leur transmet armes et argent fournis par la CIA et l’Arabie saoudite. Après le retrait soviétique, certains moudjahidine deviendront talibans. D’autres rejoindront Al Qaeda. Surnommé «le père des talibans», Hamid Gul est, lui, resté influent. Son rôle ne se limitait pas à apparaître dans des émissions de télévision comme ancien chef des renseignements adepte des théories du complot – il affirmait que les Juifs étaient responsables des attentats du 11 septembre 2001 – et partisan d’une guerre contre l’Inde. Si l’on en croit les télégrammes révélés par Wikileaks en 2010, il a œuvré dans l’ombre durant plus de vingt ans. Il aurait rencontré régulièrement des commandants talibans et d’Al Qaeda, y compris pour planifier des attaques, la seule condition étant qu’ils ne visent pas le Pakistan. En échange, il leur promettait de ne rien faire pour les chasser de leurs fiefs et de leurs camps d’entraînement des zones tribales du Waziristan. Il avait également conservé des liens avec Gulbuddin Hekmatyar, le chef du Hezb-i Islami, et Jalaluddin Haqqani, du réseau du même non. Les deux commandent des milliers d’hommes qui ont combattu l’Otan en Afghanistan et continuent à lutter contre la police et l’armée afghanes. Ces liens illustrent le double jeu du Pakistan. Officiellement allié des Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme, il laisse certains responsables des services de renseignement aider l’insurrection afghane pour éviter que l’Inde n’accroisse son influence en Afghanistan. Obnubilés par l’hypothèse d’un conflit armé avec le voisin indien, ils considèrent que l’Afghanistan doit rester un possible territoire de repli. New Delhi soupçonne par ailleurs Hamed Gul d’avoir instauré une politique d’aide aux jihadistes actifs au Cachemire. Les Etats-Unis sont également persuadés que c’est Hamid Gul qui a prévenu en 1998 Oussama Ben Laden de l’imminence de frappes américaines le visant en Afghanistan. Le chef d’Al Qaeda, qui venait d’organiser les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, s’échappa quelques heures avant que les missiles de croisière ne soient tirés. Islamabad a toujours nié qu’Hamid Gul, officiellement en retraite, continuait en réalité à travailler pour les services de renseignements. Mais face à l’exaspération de Washington qui menaçait de couper son aide financière, Pervez Musharraf, président du Pakistan de 2001 à 2008, avait admis qu’il était possible que d’anciens membres de l’ISI soutiennent l’insurrection afghane. Sans prononcer le nom d’Hamid Gul qui a, lui, toujours nié.